Une question divise l’Europe depuis des décennies : qui peut revendiquer la paternité du döner kebab tel que nous le connaissons ? Cette guerre culinaire entre la Turquie et l’Allemagne révèle une réalité plus complexe qu’il n’y paraît.
La technique turque millénaire
Le kebab tire probablement ses racines anciennes d’Asie centrale et existe depuis le Moyen Âge en Anatolie, introduit par la migration turque dans cette région au XIe siècle. Selon le géographe de l’alimentation Pierre Raffard, le « kebab est une tradition des peuples turcs nomades ».
On attribue souvent sa création aux guerriers turcs qui, selon la légende, faisaient cuire de la viande sur leurs épées au-dessus du feu. Le mot « kebap » lui-même signifie « grillade » en turc. Cette technique de cuisson à la broche traverse les siècles et devient une spécialité ottomane reconnue.

L’innovation berlinoise de 1972
Mais le döner kebab moderne naît à Berlin. Beaucoup croient que le döner kebab fut en réalité créé à Berlin par un travailleur immigré turc nommé Kadir Nurman en 1972. Il vendit son premier döner kebab à Berlin-Ouest face à la gare Bahnhof Zoo.
Après avoir déménagé de Stuttgart à Berlin en 1966, Nurman remarqua rapidement qu’il manquait distinctement de nourriture pratique pour le déjeuner des travailleurs occupés de la ville. C’est alors que l’idée lui vint. Il pensa que la viande de kebab, qui était servie sur des assiettes avec du riz en Turquie depuis le milieu des années 1800, pouvait être vendue dans un sandwich portable.

La révolution du sandwich
L’innovation de Nurman révolutionne le concept. En 1972, il ouvre un casse-croûte à la Berlin Zoologischer Garten railway station de Berlin Ouest. Il y vend de la viande grillée et de la salade dans un pain pita ainsi que du veau en tranche avec des oignons.
Cette transformation du plat turc traditionnel en sandwich portable répond aux besoins de la société allemande d’après-guerre. Le döner devient un fast-food parfaitement adapté au rythme urbain occidental.
Deux revendications légitimes
La dispute révèle deux aspects distincts du même plat. La Turquie revendique la technique originelle : la viande grillée à la broche verticale, les épices, la tradition culinaire millénaire. L’Allemagne revendique l’innovation moderne : le sandwich, la portabilité, l’adaptation à la restauration rapide.
Le sandwich döner kebab tire ses origines du verbe turc «dönmek», qui signifie «tourner». La viande est grillée pendant des heures à la broche et coupée en tranches lorsqu’elle devient croustillante et brune. En Turquie, le plat était à l’origine composé de viande servie sur assiette avec du riz.
L’expansion mondiale depuis Berlin
Depuis 1972, Nurman a vendu son premier döner kebab face à Bahnhof Zoo à Berlin-Ouest. Depuis lors, le Döner est devenu un fast-food allemand favori – populaire dans le monde entier mais nulle part aussi succulent que dans son lieu de naissance.
Cette diffusion mondiale confirme le rôle de Berlin comme laboratoire de la modernisation du döner. La version sandwich conquiert l’Europe depuis l’Allemagne, pas depuis la Turquie.
Une reconnaissance partagée
Les autorités turques reconnaissent cette double paternité. Selon l’Association des fabricants de döner turcs en Europe (ATDID) sise à Berlin, l’origine du döner kebab est attribuée à Kadir Nurman, qui aurait suivi un parcours similaire de la Turquie à l’Allemagne, avant d’ouvrir un snack en 1972, où il servait sa viande grillée dans un pain plat.

Le verdict historique
Le döner kebab moderne résulte d’une synthèse culturelle. La technique turque millénaire rencontre l’innovation allemande des années 70. Un plat également appelé « grec » qui a été inventé par un Turc à Berlin dans les années 1970.
Cette création hybride illustre parfaitement l’enrichissement mutuel des cultures par l’immigration. Le döner n’est ni purement turc ni purement allemand : il est le produit de leur rencontre à Berlin, devenant un symbole de l’Europe multiculturelle.